La Sourate Joseph plagiée sur les sources midrashiques ?




1/ Introduction


L'histoire du Prophète Joseph, as, dans la Sourate 12 du Coran a suscité un nombre conséquent d'appréciations par différents érudits et ce sous des angles divers. Certains l'ont comparé avec le récit du livre de la Genèse dans la Bible hébraïque et ont fait ressortir des différences intéressantes (cf. Maurice Bucaille, Moïse et Pharaon). D'autres tels Mustansir Mir ont attiré l'attention sur la beauté de son style littéraire (cf. The Qur'anic Story Of Joseph: Plot, Themes And Characters). D'autres enfin comme  A. Geiger, Torrey  et Macdonald ont prétendu que cette Sourate fut écrite à partir de textes de la littérature Hébraïque, plus particulièrement Talmudique.

 

Selon eux, le récit coranique comporte des passages "obscurs" et qui ne peuvent être correctement compris qu'à condition de les lire à la lumière de textes de la littérature juive Midrashique principalement Midrash Yalkut, Midrash Ha-Gadol, Midrash Genèse Rabbah, Midrash Tanhuma et Sefer Ha-Yashar.

 

 

L'hypothèse implicite de cette méthodologie visant à expliquer "l'incohérence" de certains passages du récit coranique relatif à Joseph, au moyen de l'utilisation de ces sources Midrashiques, est que ces ouvrages existaient avant l'avènement de l'Islam et que le Prophète Muhammad, saws, les a copié pour composer le Coran. Aucun effort n'a été fait par l'un de ces essayistes pour vérifier la date de rédaction et la datation desdites sources juives. Dans cet article,  nous tendrons à examiner les dates de compilation ou de  rédaction de ces sources.

 

 


2/La liste des prétendus "incohérences"

 

 

Les principales prétendues "incohérence" du récit Coranique, nécessitant d'être lues à la lumière des sources Midrashique Juives pour être comprises, sont les suivantes:

 

1. Le récit coranique ne donne pas la raison pour laquelle l'épouse d'Al-Azîz a fournie des couteaux aux femmes qu'elle avait invité dans ses appartements, afin qu'elles puissent voir la beauté de Joseph.  Le Midrash Yalkut et Midrash Ha-Gadol donnent la raison pour laquelle les couteaux leur furent données, en l'occurrence, afin qu'elles puissent manger des fruits.

 

2. Dans le Coran, Jacob conseille à ses fils d'entrer dans la ville par différentes portes, et non pas par une seule porte. Ceci peut être compris d'une façon "cohérente" que si l'on lit la Midrash Genèse Rabba, le Midrash Tanhuma et Ha-Gadol, car ils fournissent la "raison" de cette  injonction.

 

3. Quand la coupe est trouvée dans le sac de Benjamin, et qu'il est taxé de voleur, ses frères ont dit: "S'il a commis un vol, un frère à lui auparavant a volé aussi." [Coran, 12:77]. Selon Torrey, les commentateurs musulmans peinent à expliquer comment Joseph aurait pu être accusé de vol. Le récit coranique ne peut s'expliquer que par référence à la Midrash Genèse Rabba, le Midrash Tanhuma et Ha-Gadol. Ce qui est amusant, c'est que Torrey, au lieu de montrer comment Joseph a volé déclare que le Midrash fait référence à la mère de Benjamin qui,  avant lui, avait volée et non pas Joseph !


 

 

3/ Datation des sources Juives

 



1. Midrash Yalkut Shimeoni:

 

Il y a plus d'un siècle, Zunz a signalé que le Midrash Yalkut Shimeoni a été compilé au 13ème siècle après JC par  Siméon ha-Darshan. [L. Zunz, Die Gottesdienstlichen Vorträge der Juden: Historisch Entwickelt, 1892, Verlag von J. Kauffmann: Frankfurt, pp. 308-315. La datation est sujette à discussion en pages 312-315.]  Cette datation est encore acceptée aujourd'hui.

 

L'Encyclopaedia Judaica dit:

 

Certains savants (S. J. Rapoport, etc.) affirmèrent que l'auteur et compilateur était Simeon Kara, le Père  de Joseph Kara et un contemporain de Rashi, mais A. Epstein a montré que cette opinion n'a pas de fondement. Il a prouvé que le Siméon mentionné par Rashi n'est pas le compilateur du Yalkut et l'attribua  à Simeon ha-Darshan, qui vécut au 13ème siècle… Zunz data le Midrash du 13ème siècle sur la base des faits que Nathan b. Jehiel de Rome, Rashi et, d'autres savants du 12ème siècle  ne connaissaient pas le Yalkut..... Tous les arguments de Zunz ne sont pas valables.... mais l'opinion de Zunz relative à la datation prévaut... ["Yalkut Shimoni", Encyclopaedia Judaica, Volume 16, Encyclopaedia Judaica Jerusalem, col. 707.]

 

Similairement, Epstein acquiesce :

 

... avec Zunz que l'auteur du Yalkut vécut dans la première partie du 13ème siècle. ["Yalkut", The Jewish Encyclopedia, 1905, Volume XII, Funk And Wagnells Company: London & New York, p. 586; voir aussi pour trouver une datation similaire "Yalkut Shimeoni", The Universal Jewish Encyclopedia, 1969, Volume 10, Ktav Publishing House, Inc.: New York, p. 586; H. L. Strack & G. Stemberger (Trans. Markus Bockmuehl), Introduction To The Talmud And Midrash, 1991, T & T Clark: Edinburgh (Scotland), p. 384.]

 



2. Midrash Ha-Gadol:

 


C'est la plus ample de toutes les collections midrashiques. Concernant la datation de sa composition et sa nature The Universal Jewish Encyclopedia dit:

 

Midrash Hagadol ("Le grand Midrash") une collection midrashique de la Torah entière... fut apparemment achevée au 14ème siècle.... Contrairement au compilateur de la collection Midrash Yalkut Shimeoni, l'auteur de Midrash Hagadol ne donne pas ses sources.... En de nombreux exemples les légendes et énoncés dans le texte sont très similaires à celles rapportées dans les sources Mohammadiennes. ["Midrash Hagadol", The Universal Jewish Encyclopedia, 1969, Volume 7, Ktav Publishing House, Inc.: New York, pp. 539-540]

 

Il est universellement accepté que David b. Amram d'Aden (Yémen) fut l'auteur de Midrach Ha-Gadol. Il est généralement dit que David B. Amram vécut au 13e siècle. [H. L. Strack & G. Stemberger (Trans. Markus Bockmuehl), Introduction To The Talmud And Midrash, 1991, op cit., p. 386; Voir aussi "Midrash Ha-Gadol", Encyclopaedia Judaica, Volume 11, Encyclopaedia Judaica Jerusalem, col. 1515-1516.]

 



3. Sefer Ha-Yashar:

 


Selon The Encyclopaedia Judaica, Sefer Ha-Yashar fut

 

... probablement écrit au 13ème siècle. ["Sefer Ha-Yashar", Encyclopaedia Judaica, Volume 14, Encyclopaedia Judaica Jerusalem, col. 1099.]

 

Certains savants comme J. Dan ont pensé que cette œuvre ne fut composée qu'au début du 16ème siècle à Naples. En support de cette  idée, J. Genot cite la description de Joseph comme un astronome Juif, officiant en une cour Gentille, l'utilisation de l'astrolabe, et les influences contemporaines sur les récits Bibliques. L'édition Véninoise de Sefer Ha-Yashar se réfère à une édition imprimée de Naples, qui, toutefois, n'aurait jamais existé. [H. L. Strack & G. Stemberger (Trans. Markus Bockmuehl), Introduction To The Talmud And Midrash, 1991, op cit., p. 359. Il semble que l'auteur de la traduit Anglaise de Sefer Ha-Yashar n'était pas au courant de la non-existence de l'édition de Naples, voir Sefer Hayashar: The Book Of Generation Of Adam, 1993, Ktav Publishing House, Inc.: Holboken (New Jersey), p. v.]


Concernant les influences contemporaines sur Sefer Ha-Yashar, Zunz signale l'existence de divers noms arabes en son sein. [L. Zunz, Die Gottesdienstlichen Vorträge der Juden: Historisch Entwickelt, 1892, op cit., p. 164.]

 


4. Midrash Tanhuma:

 

Une analyse concernant la datation de ce livre est donnée ailleurs. Il est suffisant de dire que ce  Midrash est daté du 9ème siècle après JC. 

 

 


5. Midrash Genèse Rabbah:

 


Très brièvement, bien que des chercheurs aient affirmé que ce Midrash a vu le jour au 6ème siècle de notre ère, il a maintenant été démontré que le texte de ce Midrash était terriblement instable même durant la période Médiévale. [Hans-Jürgen Becker, "Texts And History: The Dynamic Relationship Between Talmud Yerushalmi And Genesis Rabbah", dans Shaye J. D. Cohen (ed.) The Synoptic Problem In Rabbinic Literature, 2000, Brown Judaic Studies: Providence (RI), pp. 145-158.] 


Conséquemment, il n'y a aucun moyen d'identifier ce qui constitue véritablement le texte "original". Il y a des chapitres de Vayishlach, Vayigash, Vayechi etc. qui ont subi d'importantes modifications et ont été rédigées à partir des homélies de Tanhuma. Les homélies de Tanhuma elles-mêmes furent compilées  au 9ème siècle après JC comme cela a été indiqué ci-dessus.

 

 

Conclusion : Geiger et d'autres ont clamé que le récit coranique sur Joseph en certaines parties ne pouvait, du fait de son "incohérence", être compris que par le biais de la littérature Midrashique Juive.  Il est clair au vue de la discussion ci-dessus que toutes ces sources sont soit des compilations tardives ou sont textuellement instables. Elles atteignirent toutes leurs formes définitives quelque cent ans après l'avènement de Islam. La théorie voulant  que ces sources Midrashiques existaient avant l'avènement de Islam et que le Prophète Muhammad, saws, n'ait pas compris correctement l'histoire de Joseph en cherchant à les copier, est intenable. Ce qui est intéressant, c'est qu'il y a au moins un Midrash (Ha-Gadol) qui avait incorporé les sources Islamiques en son sein. Il est plus qu'évident qu'on ne peut utiliser des sources qui vinrent quelque cent ans après l'avènement de Islam pour expliquer le récit coranique. L'instabilité textuelle aussi bien que l'absence de manuscrits durant l'époque pré-Islamique des sources Midrashiques rend impossible de déterminer la nature précise du texte lui-même. En supplément, après une discussion détaillée concernant l'utilisation des textes du Midrash pour "comprendre" le Coran, Macdonald dit que:

 

De plus, nous ne pouvons pas le dire avec certitude. Ce n'est pas non plus convaincant de soutenir que ces [i.e., du Prophète] informations étaient dérivées des commerçants Juifs. [J. Macdonald, "Joseph In The Qur'an And Muslim Commentary - II", The Muslim World, 1956, op cit., p. 224.]




Source: http://www.islamic-awareness.org/Quran/Sources/BByalkut.html



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26/07/2008
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